Quels traitements pour quels patients ?
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La médecine de précision ne concerne pas tous les types de cancer. Les traitements proposés dépendent des avancées de la recherche et de l’identification d’un certain nombre d’anomalies pouvant être ciblées. Un des enjeux majeurs actuels est donc de pouvoir identifier les patients qui tireront un réel bénéfice de ces traitements et de développer des nouveaux médicaments pour compléter l’arsenal thérapeutique existant.
Les traitements disponibles
À ce jour, la médecine de précision comprend 51 traitements disponibles dans 19 types de cancer, dont 8 des 10 cancers les plus fréquents : cancer du sein, cancer colorectal, cancer du poumon, du pancréas, du rein, des voies aérodigestives supérieures, mélanome de la peau et cancer du foie.
On dénombre ainsi aujourd’hui :
- 47 thérapies ciblées dans 19 types de cancer
- 4 immunothérapies spécifiques (3 inhibiteurs de points de contrôle immunitaire et 1 anticorps bispécifique) dans 4 types de cancer (mélanome, cancer du poumon non à petites cellules, cancer du rein et leucémie aiguë lymphoblastique)
Il existe souvent plusieurs traitements pour un même type de cancer. À titre d’exemples, on compte jusqu’à 13 médicaments pour le cancer du poumon, 10 pour le cancer du rein et 7 pour le cancer du sein.
Nombre de traitements disponibles par type de cancer
Type de cancer | Nombre de traitements |
---|---|
Cancers bronchiques non à petites cellules (CPNPC) | 13 |
Rein | 10 |
Néoplasie lymphoide | 9 |
Sein | 7 |
Mélanome | 7 |
Néoplasie myéloide | 6 |
Estomac (hors GIST) | 2 |
Estomac GIST | 3 |
Colorectal | 6 |
Thyroïde | 4 |
Pancréas | 1 |
Carcinome basocellulaire | 2 |
Ovaire | 2 |
Sarcome des tissus mous (STM) | 3 |
Foie | 1 |
Utérus | 1 |
Tête et cou | 1 |
Tumeurs à cellules géantes de l'os (TCGO) | 1 |
Tumeurs neuroendocrines (origines pancréatique, gastrointestinale, pulmonaire) | 2 |
Pour un même organe, on dénombre, en effet, plusieurs sous-types de cancers présentant chacun des anomalies moléculaires particulières et visées par des traitements différents. Ainsi, tous les patients avec un même cancer ne recevront pas le même médicament, mais des traitements pouvant être très différents les uns des autres. Pour le cancer du poumon par exemple, il existe des médicaments ciblant des tumeurs avec des anomalies du gène EGFR et d’autres ciblant des tumeurs avec des anomalies du gène ALK. D’autres anomalies moléculaires, partagées par des groupes de patients, ont également été mises en évidence dans ce cancer, permettant le développement d’autres traitements ciblées.
À l’inverse, une même anomalie moléculaire peut être retrouvée dans plusieurs types de cancers différents. L’anomalie du gène ALK, par exemple, est trouvée dans certains cancers du poumon, mais aussi dans certains lymphomes. Il est donc possible que des patients avec des cancers différents reçoivent un même traitement parce que leur tumeur partage la même anomalie moléculaire.
Enfin, les 51 traitements disponibles ne s’attaquent pas à 51 cibles différentes. Plusieurs de ces traitements présentent, en effet, un mécanisme d’action similaire et s’attaquent à une même cible. Ainsi, dans le cancer du sein, 4 thérapies ciblées visent la surexpression de la protéine HER2 et dans le cancer du rein, 5 sont des antiangiogéniques.
À l’heure actuelle, la médecine de précision ne concerne donc pas tous les types de cancer. Les traitements proposés dépendent des avancées de la recherche et de l’identification d’un certain nombre d’anomalies pouvant être ciblées. De nombreux médicaments sont cependant en cours de développement et devraient venir compléter l’arsenal thérapeutique dans les prochaines années.
Quel médicament pour quel patient ?
Sur les 51 traitements de la médecine de précision aujourd’hui disponibles, 27 sont prescrits, comme les chimiothérapies conventionnelles, selon les critères cliniques classiques (localisation tumorale, stade de la maladie, traitements précédents…).
Même si ces 27 médicaments (23 thérapies ciblées et 4 traitements d’immunothérapie spécifique) s’attaquent à des mécanismes biologiques très spécifiques, les chercheurs n’ont pas réussi à mettre en évidence au sein des tumeurs des anomalies qui permettraient d’identifier précisément les patients les plus susceptibles de tirer un bénéfice de ces traitements.
Ces traitements sont donc donnés à tous, avec des degrés d’efficacité très variables : un même traitement sera très efficace chez un certain nombre de patients alors qu’il sera inefficace chez d’autres. Par exemple, moins de 30% des patients vont réellement tirer un bénéfice des traitements antiangiogéniques.
En revanche, pour les 24 autres médicaments de médecine de précision aujourd’hui disponibles dans 9 localisations tumorales, des anomalies spécifiques ont pu être mises en évidence au sein des tumeurs. Elles permettent d’identifier, soit les patients susceptibles d’en tirer le meilleur bénéfice, soit au contraire ceux qui n’en tireront aucun bénéfice. Leur autorisation de mise sur le marché est ainsi réservée à certains groupes de patients.
Des examens effectués en laboratoire sur les tumeurs, appelés tests moléculaires, permettent d'identifier les patients pouvant bénéficier de ces traitements ciblés. On parle aussi de biomarqueurs pour désigner les anomalies identifiables par ces tests. Ainsi, la prescription du traitement est guidée par la présence d’une de ces anomalies. On dit alors que la prescription du traitement est conditionnée par la présence d’un biomarqueur. À titre d’exemple, le vemurafenib et le dabrafenib, des inhibiteurs du gène BRAF, ne peuvent être prescrits qu’aux patients présentant un mélanome métastatique porteur de certaines mutations de ce gène.
L’intérêt de ces tests est notamment d’éviter d’administrer à un certain nombre de patients des traitements qui leur seraient inutiles et qui se révèleraient le plus souvent toxiques. Grâce à cette approche, on espère pouvoir à terme prescrire un traitement adapté spécifiquement à chaque patient et ainsi aboutir à une médecine réellement personnalisée.
Tous les patients avec un même type de cancer ne recevront donc pas le même médicament, le choix du traitement reposant sur la nature des anomalies moléculaires présentes dans leur tumeur. En outre, le pourcentage de patients pouvant bénéficier d’une thérapie ciblée varie beaucoup selon les pathologies. Par exemple, dans la leucémie myéloïde chronique 95% des patients présentent la translocation BCR-ABL et peuvent donc prétendre à un traitement ciblant cette anomalie.
En revanche, dans le cancer du poumon non à petites cellules, seuls 11% des patients présentent une mutation de l’EGFR, 3% une translocation du gène ALK et 1.5% une translocation du gène ROS1 donnant accès à des thérapies ciblées. Pour les autres patients atteints de ce cancer, certaines anomalies moléculaires ont été découvertes mais les traitements les ciblant sont encore en phase d’essais cliniques.
Pathologie | Biomarqueur | % de patients présentant l'anomalie moléculaire |
---|---|---|
Cancer colorectal | Mutation de RAS | 49 |
Cancer de l'estomac | Amplification de HER2 | 18 |
Cancer du sein | Amplification de HER2 | 18 |
Cancer de l'ovaire, des trompes de Fallope ou du péritoine | Mutation de BRCA | 19-28* |
Cancer du poumon (CBNPC) | Mutation d'EGFR | 11 |
Translocation d'ALK | 3 | |
Translocation de ROS1 | 1 | |
Tumeur stromale gastro-intestinale (GIST) | Mutation de KIT | 62 |
Mutation de PDGFRA | 17 | |
Mélanome | Mutation V600 de BRAF | 35 |
Leucémie myéloïde chronique (LMC) | Translocation de BCR-ABL | 95* |
Leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) | Translocation de BCR-ABL | ~30* |
* Données issues des plateformes de génétique moléculaire ou de la littérature.
Biomarqueurs : les enjeux
Le principe de la médecine de précision consistant à cibler certaines anomalies de la tumeur, on aurait pu penser que les traitements seraient efficaces dès lors que cette anomalie était présente, indépendamment de l’organe atteint.
Cependant, une même altération moléculaire dans différents types de cancers ne garantit pas systématiquement la réponse au traitement. À titre d’exemple, le vémurafénib ne présente pas de bénéfices pour les patients ayant un cancer colorectal porteur d’une mutation de BRAF alors qu’il est efficace chez des patients ayant un mélanome métastatique présentant cette même mutation. Aussi, il n’est pas possible de se fonder sur la seule présence d’une anomalie moléculaire pour prédire la réponse à un traitement. Il est donc nécessaire de démontrer, par le biais des essais cliniques, l’efficacité d’un traitement dans chaque type de cancer où une même anomalie est retrouvée.
Par ailleurs, pour certaines familles de thérapies ciblées, comme les antiangiogéniques, et les traitements d’immunothérapie, les chercheurs n’ont pas encore identifié de biomarqueurs, permettant d’identifier a priori les patients qui ne répondront pas à ces traitements et qui seront exposés à leurs effets indésirables sans en tirer un bénéfice thérapeutique.
Plusieurs pistes sont toutefois en cours de recherche. Pour les inhibiteurs de point de contrôle par exemple, le niveau d’expression d’une protéine particulière (PD-L1) ou un nombre très élevé de mutations dans la tumeur pourraient constituer des critères permettant d’identifier les patients susceptibles de répondre à ces traitements. Il reste néanmoins beaucoup de progrès à accomplir dans ce domaine.
Un des enjeux majeurs de la médecine de précision est donc aujourd’hui de pouvoir identifier les patients qui tireront réellement un bénéfice de ces traitements et ainsi éviter des prescriptions qui s’avèreraient inefficaces. Un objectif d’autant plus essentiel que ces traitements sont le plus souvent toxiques. Ils représentent également un coût important pour la société.
Et demain : les défis
À ce jour, tous les patients ne peuvent pas avoir accès à la médecine de précision car il n’existe pas de traitement disponible contre leur tumeur. L’identification de nouvelles anomalies moléculaires pouvant être ciblées par un traitement est donc nécessaire pour proposer de nouvelles options thérapeutiques à d’autres groupes de patients.
L’efficacité des nouveaux traitements d’immunothérapie a aussi mis en évidence l’intérêt de poursuivre le développement de thérapies contre de nouvelles cibles biologiques pour combattre la tumeur à différents niveaux.
Par ailleurs, il sera possible demain d’analyser la séquence complète de la tumeur des patients, grâce aux évolutions technologiques majeures de ces dernières années, en particulier l’évolution technique du séquençage de l’ADN. Ces avancées vont générer un très grand nombre de données qui devront être analysées à l’aide d’outils informatiques. Cela permettra d’établir une cartographie moléculaire complète de la tumeur de chaque patient, prenant en compte les cellules tumorales elles-mêmes et leurs interactions avec leur environnement. L’objectif sera d’aider les médecins à choisir le traitement le plus adapté et de permettre le développement d’une médecine entièrement personnalisée, car adaptée à chaque patient.
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